Dali investissant la capitale girondine dans un cadre tout à fait charmant, mise en perspective avec Goya , mort il y a 181ans à Bordeaux, «  des originaux, gravures, lithographies et sculptures de Dali mis en vente. »

Dans ma fougue et ma jeunesse, certains mots ne m'ont pas agressé en lisant la brochure : originaux, mis en vente. Innocente, candide : pourquoi stipuler qu'il s'agit d'originaux? Une exposition digne de ce nom n'aurait quand même pas l'audace d'exposer des reproductions!?  Quelle drôle d'entrée en matière...

Mais avant de tirer à boulet rouge sur cette « exposition » plus à même de ressembler à une fiévreuse orgie mercantile parisienne que de proposer au public de découvrir et accessoirement comprendre l'œuvre de Dali, clarifions notre position et le cadre de l'exposition.
 Aucun préjugé, aucun à priori, je me suis donc rendue au cellier des Chartrons enthousiaste à l'idee de pouvoir voir des œuvres du maître surréaliste et du torturé Goya à Bordeaux.

Un cadre agréable au détour d'une rue, tonneaux, bouteilles, ivresse des sens, quoi de plus singulier et charmeur en cette douce après-midi dominicale pluvieuse?


L'exposition s'articule en deux parties majeures : la première offre à travers une juxtaposition de 80 gravures des « Caprices de Goya » un regard sur la société décadente espagnole de la fin du XIXème siècle, mis en parallèle avec les Caprices à la manière de Dali, réactualisant les thèmes décrits 200ans plus tôt en les revêtant d'une bonne dose surréaliste. La méthode dite de la « Paranoïaque Critique » utilisée par Dali consiste donc en une « méthode spontanée de connaissance irrationnelle basée sur l'interprétation-critique des phénomènes délirants ». Dali colorise certains éléments de l'image originale de Goya et appose sa touche en des ajouts surréalistes, formes et autres vibrations, réinterprétant visions amoureuses romanesques, histoires de contrebande, couardise de la noblesse ...

Dans un article de Piotr Czarzasty, Serge Goldenberg, marchand d'art parisien, collectionneur et organisateur de l'exposition s'explique : « Il était intéressant pour nous de mettre en avant cette collaboration inouïe qu'il peut y avoir entre deux artistes séparés par tant d'années. ». En effet, nous avons eu tout loisir d'admirer et de comparer les 80oeuvres, alignées en bataillon serré sur les murs du cellier, nous contentant des faibles explications proposées à l'entrée de l'exposition.


La deuxième partie de l'exposition propose aquarelles, lithographies, livres et tapisseries afin d'approfondir une lecture de sa méthode Paranoïaque-Critique. Soit. Les oeuvres exposées sont bien sur intéressantes et dénotent avec celles que nous retrouvons dans les musées :

-Les chants de Maldoror (1934)

-La suite des Anamorphoses

-La suite de Currier et Ives

-Gravures des Dîners de Gala

-Les songes drolatiques de Pantagruel

-La suite des Hippies et de la Divine Comédie.


Il ne s'agit donc pas du contenu, manifestement intéressant et complet que nous reprochons à l'exposition de Serge Goldenberg. Celui-ci souhaitait en effet offrir à la ville qui accueillit Goya, la présentation des Caprices avant de les proposer aux enchères. Nous pouvons donc souligner la démarche altruiste d'un homme souhaitant offrir un dernier regard au commun des mortels à des œuvres qui bientôt seront confinées bien à l'abri du pauvre amateur d'art.


Ce que nous reprochons, c'est le manque total d'analyse scientifique qu'offre cette exposition. D'ailleurs, nous sommes bien embêtés de l'appeler comme telle. Des cartels explicatifs pauvres voire faméliques, mettant seulement en évidence le prix de l'œuvre, des accrochages sommaires ne rendant absolument pas honneur aux créations, des prix balancés ci et là, vulgairement, comme s'il s'agissait d'une vente de peintres de campagne, accrochant leurs œuvres à l'occasion de la 50ème Foire à la truite. Certaines œuvres, entreposées sous verre (quand même!), pèle-mêle dans un bac en bois, des assiettes Faust vendues 150euros pièce, des lithographies à même le sol obligeant le quidam à s'accroupir pour admirer les créations... Diable qu'il est ludique de pouvoir s'emparer des lithographies, les scruter et les reposer dans le bac en bois! Pour seule justification : « Nous n'avions plus de place. » Don't Acte.

Grossière, vulgaire, cette exposition (organisée par un privé, rappelons-le) n'est rien d'autre qu'un grand bazar, assaillant le curieux de prix, de suggestions de ventes à peine après avoir pénétré dans le cellier. « Œuvres à vendre » mentionnées avec des gomettes, cartels en papier Canson accrochés à la hâte, publicité mensongère. Je m'explique : on nous propose de manière fort alléchante de découvrir des sculptures de Dali : Le Rhinocéros Cosmique entre autres. Il ne s'agit en effet que de moulages, certes numérotés. « Des tirages à 99exemplaires seulement! » affirme une jeune femme embringuée dans l'affaire, tâchant de garder le sourire face à mon visage déconfit et amer. 36.000euros la reproduction. Je suis heureuse d'avoir dépensé 5euros pour voir des reproductions, une série de Caprices alignée façon Fordisme et n'avoir strictement rien apprit sur Dali.


             
Une réplique du Rhinocéros Cosmique                  Le fameux bac aux lithographies: faites votre choix!



Est-ce le manque manifeste de place proposé par le cellier des Chartrons, une organisation trop rapide, l'envie pressante de vendre plutôt que d'offrir ces œuvres aux yeux du public qui ont fait de cette exposition un événement manqué, l'un de mes plus mauvais souvenirs en matière d'exposition? Dali aimait l'argent, d'autres également. Au final, ne reste que le goût amer d'avoir été roulée, une plus grande méfiance encore des institutions privées et le souvenir d'avoir visité une grande kermesse. Par contre, j'ai eu la joie de connaître le prix de « Les Tables de Loi », original signé, n°95/250, évalué à 4900euros. J'en suis tout bonnement ravie et je souhaite beaucoup de plaisir au futur acquéreur.

Si vous avez du temps à perdre, de l'argent à donner, que vous aimez Dali et les ambiances foires guindées et bourgeoises, vous pouvez toujours y aller. Sinon, vous trouverez bien une alternative en longeant les grilles du Jardin Public où toute une série d'oeuvres reprographiées sont accrochées!

Au moins, dans les grandes expositions nationales, bien que la tendance actuelle soit de brasser un maximum d'argent plutôt que de rendre véritablement hommage à un peintre ou d'illustrer une thématique donnée, on nous offre à voir des œuvres originales, bien emballées, bien étudiées. Ici, en plus du côté mercantile évident de l'exposition, vous pourrez admirer de belles copies!

 

 

 

Infos pratiques :
Cellier des Chartrons
41 rue Borie à Bordeaux
Tél : 01 30 27 31 31 ou 06 33 88 25 50

Tarifs :
Plein tarif : 8€
Tarif réduit : 5€
Gratuit pour les moins de 12 ans

Jusqu'au 29 novembre.

      

Génial, nous avons le prix! Sinon, autre chose?               Une rigueur scientifique incomparable!

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